Ingénieur, j’étudie et je modélise depuis maintenant plus de 25 ans les mécanismes d’adaptation et de transformation des organisations et des sociétés. De ces travaux a découlé un modèle original de représentation de ces organisations et sociétés. C’est un modèle dynamique où elles sont décrites en termes de capacité de mouvement et de mouvements plutôt qu’en termes d’infrastructures ou de résultats. C’est une très grande différence.
Pour arriver à un tel résultat, il a fallu que je transcende le modèle analytique qui m’avait été enseigné pour un modèle systémique qui permet de représenter des systèmes complexes. C’était nécessaire puisque les organisations et les sociétés sont des systèmes complexes[1]. Ça implique le développement d’un modèle de représentation et de description des organisations complètement différent. Le tableau suivant vous donne une idée de l’importance de ces différences de perspective.
L’approche analytique
On peut considérer l’approche analytique comme l’équivalent de l’approche cartésienne. Ce sont des approches déterministes qui proposent de trouver une réponse unique à une question. Une réponse qu’on peut démontrer comme vraie. L’approche analytique qui a été adoptée il y a 400 ans, grâce aux travaux de Descartes notamment, était à l’origine une révolution par rapport à l’approche scolastique qui dominait avant et dans laquelle la vérité était définie comme un amalgame des conclusions des philosophes grecs complétées par des vérités édictées par l’Église.
Mais malgré l’utilité de la méthode cartésienne qui nous a menés, à travers les Lumières jusqu’à nos sociétés contemporaines, c’est une approche qui a aujourd’hui rencontré ses limites. En effet, les sociétés sont devenues tellement complexes que les vérités et les conclusions qu’elle édictent analytiquement et qui émergent de spécialistes en silo ne permettent plus de décrire la réalité contemporaine avec suffisamment de pertinence pour prendre les bonnes décisions.
Destruction créatrice
C’est dans ce contexte qu’est en train d’advenir, sous nos yeux, la plus grande vague de destruction créatrice de l’histoire de l’homme. Le remplacement du modèle analytique de représentation de la réalité par le modèle systémique. C’est, il me semble, la nature profonde la cinquième vague, annoncée par la revue The Economist en 1999.
C’est une transformation tellement fondamentale qu’on peut légitimement parler de métamorphoses des sociétés. Et ces métamorphoses sont en train d’advenir actuellement!
Métamorphose
Il y a la métamorphose économique, la métamorphose des connaissances et la métamorphose des perceptions. Mais, le développement rapide de l’utilisation de l’approche systémique à tous les niveaux de la société impose surtout une transformation de notre façon de nous comporter avec notre environnement.
Dans une société analytique l’ensemble des énergies est destiné à gérer une complexité interne appelons la opérationnelle. Je reçois un boulot à faire et ma responsabilité est de faire le boulot en utilisant mes compétences et en satisfaisant des critères d’évaluation formel, économique temporel ou qualitatif.
Dans une société systémique une portion importante des énergies est destinée à comprendre la complexité externe ou contextuelle du boulot à faire, c’est-à-dire pourquoi le boulot doit être fait, pour qui, quel est son contexte d’utilité et comment peut-on livrer un résultat qui soit optimal en fonction de l’état actuel du dit contexte et de son évolution.
Multiplication des organisations complexes
Multiplication des organisations complexes
Ça semble compliqué comme ça, mais toutes les personnes qui travaillent dans un milieu qui interagit par le biais du Web et des réseaux sociaux sont amenées à développer cette perspective d’analyse et d’action.
Il y a une portion toujours plus importante d’emplois qui nécessitent de maintenir cette perspective élargie et de gérer en continu cette complexité contextuelle en plus de la complexité opérationnelle.
Pour tous ceux qui travaillent dans des secteurs ou il y a :
Obligation de manœuvrer dans un domaine d’activité en effervescence
Développement de technologies ou d’offres très innovantes
Conception fabrication et lancement d’un produit novateur
Fonctionnement dans un contexte turbulent ou en adaptation,
la gestion de la complexité contextuelle devient une habileté importante.
Propriété émergente
La figure ci-contre illustre cette double perception qui caractérise le fonctionnement des systèmes complexes et qui favorise l’apparition de ce que l’on nomme une propriété émergente qui, elle-même favorise la vitalité du domaine d’activité, de l’organisation, ou du département qui la vue naître.
Dans une société complexe, les organisations peuvent permettre l’apparition de propriétés émergentes au sein des différents groupes qui les composent en supportant le développement au sein de ces groupes d’une conscience formalisée par des informations et des interactivités entre ses membres autour de l’apprentissage et du suivi des réalités contextuelles.
Nourrir ces cadres de références partagés par les différents groupes d’une organisation donnée permet de renforcer significativement le cadre de référence plus large de l’organisation elle-même. Il en résulte l’apparition des capacités d’autorégulation, d’autoamélioration et de vitalité, typique des organisations complexes en santé.
En conclusion
Le développement d’une société durable ne peut se faire que par l’internalisation de la complexité dans les modes de fonctionnement et dans les processus de prise de décision des organisations.
Ça implique le développement de systèmes d’informations dynamiques qui permettent aux membres de l’organisation de maintenir une conscience assez précise de la position de leurs manières de faire par rapport à l’évolution des manières de faire de leur domaine d’activité.
Ce ne sont plus seulement les dirigeants de l’organisation qui doivent avoir la responsabilité d’assurer l’évolution de l’organisation par rapport à celle des manières de faire de son domaine d’activité. Ce sont presque tous les membres de l’équipe qui doivent prendre cette responsabilité et ça commence par se maintenir informé et par l’échange des informations avec ses collaborateurs.
Dans une société complexe, le maître mot cesse d’être compétition pour devenir collaboration.
[1] Un système est dit complexe lorsqu’il fonctionne en se maintenant dans un état stable entre une complexité interne (ou opérationnelle) et une complexité externe (ou contextuelle) et entre l’équilibre et le chaos.
Ce sont des systèmes dynamiques ouverts dans lesquels les composants ont suffisamment d’autonomie pour nécessiter l’existence d’un cadre de référence partagé (propriété émergente), pour que le système maintienne sa cohérence interne malgré les transformations de son contexte externe.
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