Dernièrement, nous discutions avec des acteurs de développement régional du défi du développement durable. Ils nous disaient combien ils sont surpris de la disponibilité des citoyens à participer à des activités de réflexion du type de celles prévues dans les Agenda 21.
Ils nous disaient combien il est difficile de maintenir leur intérêt car, concluaient-ils, en fin de compte ce qui touche vraiment les gens, c’est l’activité économique qui leur permet de s’assurer qu’ils auront toujours un emploi demain. Si les choix du développement durable attaquent la sécurité de leur emploi, alors les choix économiques priment.
Ils disaient aussi combien il est difficile de transférer ces conclusions et ces priorités découlant du processus de réflexion dans la vie réelle. Car la réflexion sur le développement durable concerne plus les modes de vie que les activités économiques.
Toute cette discussion met bien en évidence la difficulté de l’action proactive qui est fondamentalement différente de l’action réactive. Partout on parle de plan d’action. On ne différencie pas. On n’entend pas parler de plans de réaction ou de plans de proaction, on ne parle que de plans d’action. Mais entre les deux il y a un monde de différence. Je m’explique.
Réagir
Lorsqu’on réagit, on le fait face à un problème qui est connu et c’est l’existence de ce problème qui permet de réunir les gens pour organiser la réaction. C’est la reconnaissance du problème qui permet de s’entendre sur l’objectif à rencontrer. Il peut y avoir de grande discussion sur la manière de réagir, mais la raison de réagir est assez facile à définir puisque le problème est là.
Prenons le recyclage. Il y a trop de déchets, c’est un problème. Il manquera bientôt de matières premières, il faut arrêter d’en jeter, c’est un problème. La solution : le recyclage. On peut dire que le recyclage est une réaction au problème de saturation des sites d’enfouissement et à celui de la raréfaction des ressources. Pour motiver les gens à faire du recyclage, on peut les regrouper pour parler des problèmes, les analyser, évaluer les solutions possibles et, en groupe, conclure à l’efficacité du recyclage pour les résoudre. Le recyclage est une réaction à un problème. Ce fut difficile mais nous avons réussi à l'intégrer dans notre mode de vie.
Proagir
Lorsque l’on veut proagir, on le fait face à un problème anticipé, un problème qui n’est pas encore là. C’est l’absence de ce problème dans le présent qui rend difficile l’organisation de la proaction. C’est plus difficile car il faut :
convaincre un groupe de gens de l’inéluctabilité du problème;
amener ces gens à une perception commune, de sa source, de ses impacts;
unifier leurs perceptions de son rythme d’évolution et du temps que l’on a pour réagir.
Ce sont ces contraintes qui rendent si difficile l’organisation d’une démarche de proaction comme la métamorphose vers le développement durable. C’est aussi cette absence du problème dans le présent qui rend difficile le maintien de l’intérêt des groupes que l’on réussit à mettre sur pied.
Lorsque l’on parle du développement durable, on parle d’inventer une société qui existerait sans détruire la biosphère et sans mettre en danger l’avenir de l’humanité. C’est un problème qui est anticipé puisque la biosphère et l’humanité sont actuellement bien vivantes et que le développement de la vie moderne ne donne pas l’impression qu’on les met en danger par nos actions directes. Il n’y a pas de liens directs de cause à effet entre ce que l’on peut faire en tant qu’humain et le problème à résoudre.
La motivation d’agir ne repose donc que sur la perception de la situation qui nécessite que l’on proagisse. Et la perception, c’est vivant, en perpétuelle évolution. Ça dépend des dernières informations et ça diminue en précision si ce n’est pas entretenu. Le développement durable est une proaction face à l'anticipation d'un problème. C'est subtil et nous n'avons pas encore réussi à l'intégrer dans notre mode de vie.
Outils de proaction
Malgré la complexité, on peut réussir à proagir. C'est un muscle à développer, une technique de communication et de description. Pour réussir une démarche de proaction, il faut
s’assurer de maintenir vivante dans l’esprit des acteurs la perception de la raison qui nécessite la proaction. L’émergence des réseaux sociaux est une panacée pour résoudre cette nécessité;
réussir à définir une cible à atteindre, c'est-à-dire un résultat de l’action qui, s’il est atteint, permettra de dire que la proaction aura été un succès;
identifier et faire approuver des indicateurs qui permettent de mesurer l’évolution du problème et l’avancement des travaux qui visent à atteindre la cible;
mesurer l’évolution de la situation et maintenir les acteurs informés des progrès de l’action et des succès qui sont remportés.
On le voit, la proaction repose sur deux habiletés, mesurer des réalités complexes et les communiquer de manière accessible. Il faut permettre qu’un groupe d’acteurs puissent maintenir une perception assez détaillée de l’évolution de la démarche de proaction pour leur permettre de maintenir leur volonté d'agir.
Le temps de la proaction
Chaque année nous éloigne un peu plus du développement durable. Chaque année, la biosphère est plus affectée par la présence des humains. Chaque année, les humains sont un peu plus empoisonnés par le fonctionnement de la société. Donc, chaque année on s’éloigne un peu plus du développement durable.
Il n’y a qu’un seul moyen d’agir, la proaction. La réaction ne suffit plus, la dégradation s’accélère trop. Ça veut dire que si on veut choisir son futur, je dirais même sauver son futur, il n’y a pas de temps à perdre. Il faut devenir des maîtres en proaction. Il faut s’inventer un futur, se constituer un projet de société durable. Il faut s’inventer une économie écohérente, une économie cohérente avec l’écologie.
Le développement économique doit se réinventer. Son seul objectif doit cesser d’être la croissance pour devenir l’écohérence, la cohérence écologique. Ça ne veut pas dire oublier l'économie; ça veut dire réorienter l'économie et ses critères de mesure. Ceux qui inventeront l’écohérence seront les maîtres du prochain siècle. Au Québec on a la créativité, les ressources et un niveau de conscience de la collectivité qui nous place en pôle position en Amérique du Nord dans la course vers l'écohérence. Saurons-nous en profiter?
Pour poursuivre la réflexion, je vous invite à lire cet article paru dans The Economist et qui parle des prochains supermodèles socioéconomiques.
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