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L’émergence de la complexité - Vers un tsunami de destruction créatrice

Savez-vous ce qu’est une « vague de destruction créatrice » ?

Si vous répondez non, quoi de mieux pour vous expliquer cette expression que de vous citer une définition tirée de Wikipédia :

« La destruction créatrice désigne le processus de disparition de secteurs d'activité conjointement à la création de nouvelles activités économiques. Cette expression est fortement associée à l'économiste Joseph Schumpeter (1883–1950) et elle fut popularisée dans son livre Capitalisme, socialisme et démocratie, publié en 1942. »

De mon point de vue, c’est un concept important en prospective puisqu’il décrit une dynamique d’évolution structurelle de la société. Pour le visualiser, j’ai toujours aimé me référer au schéma suivant, présenté dans un intéressant article sur le sujet, paru il y a une dizaine d’années dans The Economist.

Fait intéressant à noter, l’article « Catch the wave » a été écrit avant le crash des « dotcom ».

Pourquoi ai-je décidé de vous parler de vague de destruction créatrice ? Eh bien, c’est parce que je crois que je suis en train de découvrir un mouvement tectonique dans l’univers scientifique qui pourrait bien déclencher un phénomène s’apparentant à un tsunami de destruction créatrice dans la société, un changement tellement fondamental qu’il n’affectera non seulement l’économie, mais bien la société dans son ensemble. C’est l’émergence de la complexité à tous les niveaux de la société. Cette vague de changement a déjà été annoncée, notamment par Edgar Morin, depuis une vingtaine d’année avec sa campagne « pour une réforme de la pensée » dans laquelle il propose une antithèse de l’hyperspécialisation. Il explique que cette hyperspécialisation, caractérisant nos structures sociales, les a rendues toujours plus spécialisées, plus compliquées, mais, en même temps, malheureusement moins efficaces.

Dans cette campagne, Edgar Morin met en opposition deux principes :

  • D’une part, le principe de simplicité qui impose de disjoindre et de réduire. Curieusement, c’est le principe qui mène à l’hyperspécialisation car, par lui, nous voulons tout savoir sur les composantes, mais sans trop étudier l’ensemble ou le tout puisque nous le considérons comme la simple somme des composantes. C’est le principe qui domine actuellement. C’est la généralisation de son application qui nous a menés vers une prédominance d’expertises érigées en silos caractérisant d’ailleurs si bien notre société contemporaine que nous pourrions presque la représenter comme un assemblage de groupes d’experts toujours plus spécialisés et centrés sur eux-mêmes, se multipliant constamment dans une multitude de sous-niches, le tout assemblé approximativement en une société rendue inefficiente, désintégrée et déphasée par rapport à son contexte d’existence.

  • D’autre part, Edgar Morin nous propose le principe de complexité qui enjoint de relier tout en distinguant. C’est, tout aussi curieusement, le principe qui mène à une simplification de la perception des composantes, mais aussi à la prise en compte des liens qui les unissent entre elles et qui sont, en fait, déterminants pour la compréhension de la nature des dites composantes. Selon moi, c’est la pénétration, dans la société, de cette nouvelle perspective d’analyse et d’interprétation scientifique qui est en train de déclencher la nécessaire métamorphose de la société, celle qui nous permettra d’intégrer toutes les capacités de la société en un assemblage performant, d’une efficience dix fois supérieure. La réalité globale nous impose en effet d’inventer une société qui consommera dix fois moins de ressources pour nous livrer un niveau de qualité de vie équivalent sinon supérieur, car il devrait permettre à tout humain d’atteindre « l’accomplissement et le dépassement de soi, » tel que défini par Abraham H. Maslow au début du siècle.

La thèse d’Edgar Morin, que je supporte totalement, repose sur le fondement que la société est un système complexe qu’il faut apprendre à comprendre et qu’il faut cesser de chercher à simplifier, par la méthode réductionniste issue du principe de simplicité, dans le but d’éliminer les incertitudes. C’est, en effet, un combat perdu d’avance. Il faut accepter que tout soit interconnecté, bref que le système est complexe et non-déterminé. Il faut apprendre à vivre avec cette incertitude puisque c’est la nature même de la vie.

Cette leçon de société, Edgar Morin l’a synthétisée à la demande de l’UNESCO. Il en a résulté l’excellent et unique texte intitulé « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur ». Nous pourrions en résumer le propos en disant qu’il nous donne un aperçu du champ de perception et de compréhension que nous devons acquérir pour devenir un citoyen de la planète à part entière, un citoyen mature, pleinement responsable et habilité à participer à l’évolution de « la Cité ».

Les systèmes complexes

Dans une perspective plus pratique, toutefois, et pour préciser davantage sur le propos des systèmes complexes, je vous propose le texte ci-dessous, plutôt du type ingénieur, que je trouve très bien, et qui est tiré du site de l’Institut des systèmes complexes Rhône-Alpes :

« Les systèmes complexes sont tout d’abord des systèmes présentant un grand nombre d’entités en interaction. Ils recouvrent aussi bien les systèmes naturels de la cellule jusqu’à l’écosphère que les systèmes artificiels sophistiqués dont l’homme s’entoure et qui s’inspirent de plus en plus des systèmes naturels. Ils résultent souvent de processus d’évolution et d’adaptation. Ils présentent de plus des propriétés émergentes : le niveau microscopique sous-jacent fait émerger des formes organisées au niveau macroscopique, lequel influence en retour le niveau microscopique. Interactions locales et interactions globales peuvent ainsi se conjuguer dans la description de leurs dynamiques. »

Plus loin ils ajoutent : « La compréhension des systèmes complexes passe par leur modélisation ». J’ai adoré cette phrase puisque ça fait maintenant une quinzaine d’année que je travail activement à développer la plateforme technico-fonctionnelle qui justement permet de modéliser la société comme un système complexe.

Pour moi, ce texte permet de mettre en évidence le fait que la société, dans sa nature, est un système complexe et qu’il faut l’analyser dans cette perspective si nous voulons la comprendre suffisamment pour la réinventer, la rendre efficiente et, éventuellement, durable.

L’intégration de la complexité

Il est, pour moi, très clair qu’il faut : - intégrer la complexité; - changer nos modèles de perception de la société; - transformer nos modes de fonctionnement et de décision. Il faut changer de paradigme. Et ce changement est déjà amorcé. Il s’accélère très rapidement.

Je suis convaincu que l’intégration de la notion de complexité dans nos processus sociaux va entraîner une onde de choc qui ébranlera toutes les sphères de la société et provoquera ce faisant ce que j’appelle un tsunami de destruction créatrice.

Déjà, nous commençons à découvrir que l’application de la perspective des systèmes complexes permet de résoudre des problèmes hier insolvables. C’est ce que nous appelons la révolution de la complexité. La généralisation de cette découverte induira nécessairement la volonté de remettre en question toutes les spécialisations et tous les mécanismes spécialisés qui se trouvent au cœur de la prise de décision depuis des décennies, voire des siècles.

Éventuellement, les citoyens exigeront que l’utilité systémique de chaque spécialisation soit vérifiée en vue d’assurer que chacune remplit bien sa mission dans la société, soit d’offrir une bonne qualité de vie (bonne possibilité d’accomplissement et de dépassement de soi) à son humanité citoyenne. Au cours de ce processus de vérification, l’inutilité ou le surdéveloppement de beaucoup de ses spécialisations se traduira fatalement par l’arrêt ou par le tarissement graduel des ressources permettant leur développement. C’est une des formes du phénomène d’histolyse qui interviendra pendant la métamorphose de la société. (Nous vous invitons à consulter le texte perspective d’analyse qui décrit ce blogue.)

La métamorphose déclenchée

C’est parce que j’anticipe le déclenchement de ce phénomène naturel de réorganisation des organismes vivants que je dis que l’émergence du principe de complexité et de la pensée complexe est assimilable à une immense vague de destruction créatrice puisqu’il en résultera une nouvelle société, plus efficiente, qui remplacera l’ancienne, une société métamorphosée.

Ce qui me fait parler de « tsunami de destruction créatrice » toutefois, c’est la prise de conscience de la vitesse avec laquelle la perspective de la complexité se développe dorénavant et se généralise. C’est en faisant des recherches en fin d’année 2010 que j’ai réalisé le gain de vitesse de cette perspective et le fait qu’elle touche dorénavant la majorité des domaines d’activité de la société. Il y a quelques années, c’était le secret le mieux gardé. Mme Lael Parrott, directrice du Laboratoire des systèmes complexes de l’Université de Montréal, m’a dit un jour que lorsqu’elle a été embauchée à titre de professeur au département de géographie, personne ne connaissait ce qu’était une propriété émergente. Et c’était en 2000 !

D’autre part, parce que je sais qu’elle offre des outils nouveaux pour mieux comprendre les problèmes actuels et, surtout, pour identifier de nouvelles générations de solutions, je présume que l’intérêt que la perspective complexe déclenche partout où elle est découverte augmente de manière exponentielle.

J’en tire l’impression forte que le mécanisme de métamorphose sociale est bel et bien enclenché et que, par conséquent, nous pouvons nous attendre à une accélération du mouvement de démondialisation et de régionalisation alors que les états du monde vont commencer à construire leur cocon économique (métamorphose oblige) pour réduire leur exposition. J’assume que, pendant la métamorphose, le réflexe des états sera d’augmenter leur autonomie et de diminuer leur dépendance externe pour faire face aux menaces qui découleront nécessairement du nouveau contexte de rareté des ressources.

C’est une histoire à suivre

Mais avant de vous quitter je vous informe que nous débutons un projet pilote d’implantation d’un processus formel et organique de métamorphose sociale en Abitibi-Témiscamingue et que je vous le présenterai prochainement.

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